Essaouira, la captivante
Essaouira a toujours été là, quelque part dans les récits de voyage.
La ville blanche qu’on retrouve dans les “tops des destinations ensoleillées où s’échapper”, celle blottie dans ses murs crénelés qu’on qualifie de “cool place”. Alors, on a quitté Marrakech, ses bruits et ses épices, et on a roulé droit devant, traversé le pays comme on traverse une toile : à grands aplats de paysages, une lumière franche, des ombres longues. Sur la route, tout semblait déjà plus lent. Le silence s’alourdit à mesure que la baie de Mogador se devine, une promesse d’air salé, de sable et de vagues.
Certains y viennent comme des oiseaux voyageurs, hippies d’aujourd’hui suivant la lumière d’automne et les vents alizéens pour profiter de ses immenses plages de surf et de kite. D’autres, plus audacieux ou plus rêveurs, s’y installent pour de bon, achètent des terres aux abords de buttes arides et, par magie ou obstination, y font pousser des jardins luxuriants.
C’est là qu’on a posé nos valises, un peu en retrait de la ville, dans un jardin tissé de bougainvilliers et de palmiers. Un lieu fait pour se perdre et se retrouver, à l’ombre des feuilles et dans les méandres des collines blanchies par la poussière. Ici, les routes serpentent doucement. On y croise des hommes assis à l’ombre des buissons et d’autres avançant lentement à dos d’ânes, comme figés dans le temps.
C’est en empruntant ces routes de l’arrière-pays qu’on arrive au marché berbère. Une fourmilière de gestes et d’échanges. On se fige devant ces étals comme devant une scène qu’on ne veut pas quitter. Grenades éclatées, agrumes acidulés et herbes aromatiques, moutons qui changent de main, mules qui attendent patiemment d’être chargées. Les hommes dealent des sacs de farine et du savon noir comme ils échangeraient des secrets. Tout semble se mouvoir, mais rien ne presse. Des visages qui vous regardent, mais ne vous retiennent pas. On observe, on écoute, on s’imprègne, en spectateurs silencieux d’une scène qui ne se joue pas pour nous.
Le temps de la contemplation se poursuit autour d’un thé à la menthe, accoudé à une table en plastique rouge, d’où l’on regarde le monde passer. Le vrai, peut-être, celui qui ne se raconte pas mais se vit, là, au milieu des fruits, de la poussière qui s’envole et des visages que le soleil connaît par cœur.
Essaouira porte dans ses rues l’héritage d’une ville commerçante. Ses artères droites tranchent avec les labyrinthes tortueux des médinas traditionnelles, comme un témoignage de son rôle de carrefour d’échanges. A l’arrivée des convois, les marchandises étaient déchargées à l’abri des murs épais de la cité portuaire. Ses “manutentionnaires” dormaient ensuite sur place, en attendant le tumulte du lendemain. On raconte qu’Essaouira exportait aussi bien des ânes que des céréales, mais également du thé de Manchester.
On traverse la grande place, vide et inachevée, avec ses murailles imposantes et son escalier abrupt qui s’arrête net. Au bout, le port royal s’anime. Les mouettes tournoient, criant au-dessus des étals. Une première visite au coucher du soleil nous plonge dans une lumière douce, presque irréelle. Les barques bleues s’effacent doucement à mesure que le jour décline, et les pêcheurs, bienveillants, nous racontent leur quotidien et l’effervescence à venir.
Au matin, tout bascule. Les chalutiers reviennent après plusieurs nuits passées en mer, leurs équipages vêtus de salopettes aux couleurs vives, leurs bretelles ajustables pendantes ou bien remontées, témoins d’une fatigue qu’ils portent avec dignité. Les brouettes pleines de glace zigzaguent entre les passants, manquant de nous renverser. Des hommes réparent patiemment, les filets déchirés, tandis que d’autres chargent des camions de sardines prêtes à partir pour d’autres horizons. Une mécanique bien huilée, presque chorégraphique, où chacun sait exactement où il doit être.
Après avoir choisi nos sardines et une part de poisson encore scintillante de fraîcheur, on nous conseille de rejoindre l’extrémité du port, là où la jetée domine l’Atlantique. Ici, sur une terrasse rustique, on fait griller notre déjeuner. Les filets des chalutiers s’arrêtent presque à nos pieds, les mouettes planent au-dessus, leurs cris se mêlant au clapotis des vagues et les ordres des pêcheurs résonnent comme un fond sonore authentique. On s’installe à une table, à côté d’une famille, et pour quelques dirhams seulement, on déguste ce festin simple mais inoubliable, le goût du poisson relevé par celui du moment.
Essaouira est peut-être une petite ville aujourd’hui, mais son port raconte une toute autre histoire. On devine son ancienne grandeur dans la taille des quais, dans cette ouverture sans limite sur le monde extérieur. Une ville carrefour, une ville-puzzle, où les traditions se sont mêlées. On s’émerveille de cette coutume du “mélange”, où l’on célébrait autrefois trois dimanches : le vendredi pour les musulmans, le samedi pour les juifs et le dimanche pour les chrétiens. Une mosaïque de confessions et de cultures qui donne à Essaouira une âme unique.
Où dormir ?
Le jardin des Douars : Perché sur les collines, c’est le genre d’endroit où on finit par oublier l’heure. Les bâtisses couleur terre cuite semblent sortir du paysage, les piscines vert jade appellent à paresser toute la journée, quand le spa fait disparaître les dernières tensions.
La villa Essaouira : Au cœur de la médina. Nous n’y avons pas dormi, mais on ne nous en a dit que du bien. On y a pris un cocktail, sur le toit au coucher du soleil, suivi d’un dîner dans un petit patio privé. Un vrai labyrinthe, mais simple et tellement joli.
Où manger ?
Sur le port ou au marché berbère - définitivement.
Dans la Médina, nous n’avons eu le temps de tester que le restaurant ADWAK où nous nous sommes laissés conquérir par un couscous traditionnel. Bien sûr, il était excellent, comme une promesse tenue.