Le Caire, cette autre Égypte
« L’Égypte, c’est mon rêve », disait le livre. Un rêve aux pages sépia, aux angles cornés par les doigts pressés. Un rêve qui colle à la peau autant qu’il vous échappe.
Atterrissage au milieu du désert. De là-haut, tout est flou. Le sable. Les murs beiges. Les terrains vagues, mi parking mi stade de foot, se confondent avec la terre du sol. La chaleur. Tout se mélange. Nos yeux ont du mal à distinguer ce qu’ils trouveront une fois au sol. On tend le cou pour apercevoir les pyramides. À droite, à gauche. On guette la réaction d’un voisin d’aile, pour tenter de suivre son regard. Rien. Comme si elles s’étaient perdues dans les grains de sable qui semblent virevolter sur notre passage. La ville est beige, sans repère. Elle s’étire dans la poussière. Parfois, un quartier diplomatique vient faire diversion : pelouses et palmiers alignés.
Une fois passées les formalités d’entrée, on s’entasse les uns sur les autres, les valises dégueulant du coffre de la voiture qui ferme par on ne sait quel miracle. À l’arrière de ce vieux tacot, les doigts croisés sur nos genoux, on utilise nos derniers muscles extenseurs pour apercevoir celles dont tout le monde rêve. La place du milieu offre une vue parfaite sur le chaos de la route et les pyramides au loin.
Le soleil est en train de se coucher lorsqu’on s’engage sur la bretelle du périph’ et on craint de rater le spectacle à quelques secondes près, coincés dans les embouteillages cairotes. Alors que la route grimpe lentement, on aperçoit enfin un, deux puis trois cônes comme suspendus sur une toile crépusculaire. Entre les toits plats et les paraboles, on croirait une image superposée.
Nous dormons au pied de Khéops, la plus grande du site de Gizeh. S’endormir à l’ombre d’une pyramide, c’est quelque peu irréel. Il fait froid ce soir-là et tout le monde se love rapidement sous la couette. Même les chats de la villa, supposés, si on en croit l’Égypte ancienne, symboliser protection et maternité. S’endormir vite pour se réveiller rapidement. Ce matin-là, même les guides ont du mal à nous retrouver dans notre petit quartier en cul-de-sac, perdu sous la masse des blocs de Khéops.
Nous embarquons pour aller voir les cônes de plus près. On s’évitera la balade à dos de chameau mais le guide est un incontournable du parfait visiteur.
Tout près, en bas d’un rond-point, voilà le Sphinx, plus petit que prévu. Trop petit en comparaison de sa notoriété. Presque effacé au milieu de ce décor, comme s’il ne savait plus trop ce qu’il faisait là, coincé entre deux (vingt plutôt) cars de tourisme. Tout le monde veut sa carte postale, alors tout le monde feint de l’embrasser, comme certains font semblant de soulever la pyramide du Louvre ou de redresser la tour de Pise. (On vous voit).
Les touristes, en groupe compact, sandales de marche aux pieds, bâtons télescopiques et tablette à la main, nous font rapidement fuir.
C’est à Dahchour à quelques dizaines de kilomètres de Gizeh que l’on trouve enfin un peu de solitude. Un peu d’espace. La quiétude nécessaire pour apprécier la grandeur du site, probablement aussi de l’Égypte toute entière. On trouve ici les premières tentatives de pyramides lisses de tous les temps et s’il faut faire un peu de route pour sortir du Caire le plus connu, nous avons, comme souvent pendant nos voyages, su profiter des images qui défilent derrière les vitres du véhicule.
Toutes les deux, on s’est posées à l’ombre d’une pyramide, pendant que les garçons s’enfonçaient à l’intérieur. Comme si nous n’étions pas, littéralement, au pied d’un miracle architectural. Juste deux sœurs qui discutent de tout et de rien, là, dans la poussière et le silence, avec dans leur dos, une ville tentaculaire qui reste à découvrir. Peut-être que c’était ça, le vrai voyage. La sidération en sourdine.
Le village agricole de Badrashin, au milieu des palmiers dattiers, nous accueille pour un déjeuner tardif. On nous montre comment façonner et cuire le pain égyptien. Non sans se ridiculiser, on apprécie aussi ces moments plus intimistes. Voir du vert fait du bien aussi. Comme une bouffée d’air au milieu d’une ville où les sens sont sans cesse sollicités.
Lors des trajets, on parle longuement avec les guides. Ce n’est pas un pays qu’on comprend d’un coup. Il faudrait retourner sur les bancs d’école. Revoir les religions, les coptes, les dynasties, les tensions. Ici, on parle anglais ou français à des gens qui n’ont jamais quitté leur rue. On écoute. On s’efface un peu. Et on comprend que l’Égypte n’est pas juste un décor.
C’est là, entre les minarets des mosquées qui se dressent fièrement, qu’on a enfin pu marcher sans être “escortées”, découvrir une ville qui bat à toute vitesse. On se perd dans les marchés, en remontant la célèbre artère Al Moez Ldin Allah Al Fatmi. Ni nos yeux, ni l’appareil photo ne savent où se poser. On passerait des heures à regarder la vie qui passe. A droite, on saigne la viande à même la rue. A gauche, les poussins d’un jaune vif piaillent dans des cartons posés au sol. Des bottes d’herbes fraîches tout droit sorties des champs trônent sur les étals pendant que le pain s’empile sur des plateaux d’osier, portés sur la tête, par les livreurs à vélo. On s’émerveille de tout dans une espèce d’indifférence générale et ça fait du bien. Ce qui nous étonne ou nous fascine fait partie d’un quotidien qu’on ne connaît pas. On lâche enfin prise. On se laisse bercer par le son des taxis et des tuk tuk qui foncent à vive allure. On se fait presque renverser par des deux-roues pendant que les marchands de dattes concluent leurs ventes. Le doux vacarme d’un poumon qu’on croyait absent.
Le Caire aurait mérité bien plus de jours. On aurait aimé y prendre les transports en commun, se perdre dans d’autres ruelles, visiter le Nouveau Musée du Caire. Sans cesse reportée, l’ouverture officielle du Grand Musée Égyptien est annoncée pour juillet 2025. Le chantier aura nécessité deux décennies, soit finalement autant de temps que celui de la pyramide de Khéops ! L’actuel musée est considéré comme trop vieux, trop peu sécurisé et trop petit pour pouvoir exposer toutes les collections dans des conditions satisfaisantes. Avec ce nouvel écrin, l’Égypte entend rapatrier un certain nombre d'œuvres dispersées dans les plus grands musées du monde, dans un geste qui marque un tournant dans la mise en valeur de son patrimoine culturel.
Notre dernier soir au Caire, c’est aussi le début du Ramadan. Les rues se sont illuminées. Partout, entre les immeubles, les souks, les mosquées, des guirlandes s’accrochent aux balcons, des fawanees (lanternes traditionnelles) oscillent doucement sous le vent. Notre guide nous a invités chez lui pour la rupture du jeûne. Dans le salon, les plats s’amoncellent pendant que les enfants s’impatientent. Avec curiosité, on échange sur les traditions des uns et des autres. On échange ses photographies de mariage. Et le charme opère. La gentillesse des Egyptiens n’y est pas pour rien.
Où dormir:
The House of Khéops : Un secret bien gardé au Caire, dans un petit quartier résidentiel, à l’abri du vacarme des grandes routes se cache une maison d’hôtes posée face à la grande pyramide. On y savoure le calme, un thé à la main, pendant que l’Histoire vous regarde.
Immobilia Cairo (by Egypt Beyond) : On a tellement adoré leur havre somptueux à Louxor qu’on ne peut qu’avoir un coup de cœur d’avance pour leur adresse au Caire. Des appartements à louer dans un bâtiment Art déco emblématique de la capitale, achevé en 1940. IL était autrefois le plus haut bâtiment du Moyen-Orient. Conçu par les architectes français Max Edrei et Gaston Rossi, il symbolisait la modernité et le luxe, abritant de nombreuses célébrités, artistes et intellectuels. A la suite de la révolution, le bâtiment situé en centre ville avait été abandonné. Il connaît aujourd’hui une nouvelle vie en proposant des suites pleines de caractère qui signent l’élégance orientale. Une chose est sûre : on reviendra rien que pour y dormir.
Où manger (liste évidemment non exhaustive) :
Zööba – À Zamalek, sur une avenue ombragée du Caire, Zööba réinvente la street food égyptienne avec style. Koshari, taameya, foul : des classiques relevés d’un twist moderne, dans un décor pop et joyeux. Un lieu parfait pour goûter l’Égypte du quotidien.
Holm Café – À Zamalek, un café niché au calme dans les ruelles verdoyantes, parfait pour souffler un instant.