Le Rajasthan, ou l’éveil permanent
On ne revient jamais totalement indemne d’un voyage en Inde. S'y aventurer c'est accepter d’être bousculé et de voir des certitudes profondément ancrées s'émousser.
Ce pays plus qu’aucun autre suscite une connexion immédiate et profonde avec ses paysages et ses coutumes, ou à l’inverse, un puissant rejet. Parfois les deux.
Il faut accepter de voir le très beau côtoyer le pire, le faste dissimuler la pauvreté, le spirituel cohabiter avec le mercantile. Un pays de l’écart permanent, d’une beauté singulière.
Ce sont cette confusion des sentiments et la beauté des palais des Maharadjahs que l’on vient aussi chercher au Rajasthan, cet État aussi vaste que la moitié de la France métropolitaine. Le “pays des rois” est un kaléidoscope de couleurs que l’on apprivoise doucement. On se laisse porter par le brouhaha de ces villes indiennes qui ne dorment jamais autant que par la sincérité de ses campagnes. Petit à petit, on s’abandonne aux odeurs d’encens qui s’échappent délicatement des temples, à celle des épices qui chatouillent jusqu’au palais (sans jeu de mots).
Trois villes mythiques, trois palettes : Udaipur, la blanche, Jodhpur, la bleue et enfin Jaipur, la rose.
Lorsque nous atterrissons à Udaipur, il fait déjà nuit. A la sortie de l’avion, l’air est humide, pesant, presque étouffant. L’obscurité nous préserve de la découverte avec la ville blanche qui ne se fera qu’aux premières lueurs du jour. Au réveil, la brume s'élève de la surface tranquille des lacs qui bordent la ville, loin de l’agitation naissante. Depuis le toit de notre guesthouse, se dessinent plus nettement à mesure que le jour se lève, les contours des deux palais aux allures de navires sans mâts, délicatement posés sur le lac Pichola : Jag Niwas et Jag Mandir.
Le soleil écrase rapidement les couleurs pour que ne reste que le blanc de la ville. Le tumulte de la circulation paraît lointain presque étranger alors qu’il est bien présent. Les passants semblent s’en accommoder et nous faisons de même, attirés par les étendues d’eau qu’offrent la ville.
La découverte d'Udaipur ne peut se faire sans s'arrêter sur les bords de son principal lac artificiel qui concentre l’essentiel des points d’intérêts. Les Ghats, escaliers d’accès au lac, sont le point de rencontre des habitants : de très bonne heure, on vient y faire ses ablutions. Plus tard dans la journée, les femmes viennent y laver le linge et les enfants s’y rafraîchir. La traversée du pont Daiji en direction du quartier de Cheerwa autorise un point de vue privilégié et calme sur la ville depuis la rive opposée.
Il faut slalomer entre les marchands ambulants pour rejoindre le Jagdish Temple dédié à Vishnou où nous sommes confrontés pour la première fois à la spiritualité qui règne en Inde. Les croyants achètent des œillets pour les offrir aux divinités qui y sont représentées. Les uns sortent quand d’autres y pénètrent les pieds nus sur le sol de marbre froid dans un ballet perpétuel, sur fond de pétrolettes et vaches sacrées qui meuglent de concert à l’extérieur.





On rejoint ensuite le City Palace, dédale de palais d’époque dans des styles variés formant pourtant un enchevêtrement homogène, à l’abri de la chaleur du soleil. En fin d’après-midi, nous embarquerons sur l’un des nombreux bateaux pour une balade sur le lac Pichola autour de ses deux îles, dont l’une abrite un palace 5 étoiles, le Lake Palace.
Au son des appels à la prière qui annoncent cérémonieusement la tombée du jour, nous nous exerçons au yoga et à la méditation sur l’un des nombreux toits de la ville. Une autre façon de saisir l’énergie des lieux.
Le lendemain, nous prenons la route pour rejoindre Jodhpur, la ville bleue. Le trajet dure une grande partie de la journée. Sans regret aucun. Arpenter cette route poussiéreuse à travers les villages et la campagne du Rajasthan constitue probablement un moment fort de ce voyage au pays des Maharadjahs. Difficile de décrocher son regard des abords de la piste tant les images qui défilent sont autant de photographies qui se perdent. Les fourgonnettes débordent de villageois aux habits colorés. On assiste même, par la fenêtre, à un mariage auquel tout le village a été invité.
L’arrivée sur la place Ghanta Ghar est chaotique, jour de marché oblige. Les derniers hectomètres se font à pied pour rejoindre l’écrin de calme et de verdure qui nous servira d’hôtel. Plus dense, plus tortueuse et plus animée encore que sa voisine blanche, Jodhpur réserve elle aussi son lot de surprises.
Au milieu de la ville, se dresse une colline surplombée par le Mehrangarh Fort, réputé imprenable. Depuis celui-ci, une vue privilégiée sur la marée d'habitations, sa teinte si particulière et en arrière plan les monts Aravalli. Le grès rouge, qui façonne les principaux bâtiments de la ville et la colline, tranche avec l’indigo des habitations. Le soir, la vue du fort depuis la ville est magnifiée par un éclairage subtil mêlé au ballet des chauve souris et au son des temples.
En redescendant du fort, un détour par le Toorji Ka Jhalra Bavdi, fascinant puits à degrés est plus qu’indispensable. Sa géométrie intrigue et attire touristes et habitants qui s’y retrouvent à l’abri du tumulte et de la chaleur.
Depuis la gare de Jodhpur, nous rejoignons Jaipur la rose, après de longues et cahoteuses heures passées dans le train où nous serons seuls parmi les locaux ce jour-là. Un moment clairement à part.
Les premières douleurs abdominales passées, nous voilà embarqués dans une montgolfière au-dessus de la campagne de Jaipur. Une manière délicate et poétique de découvrir l’Inde agricole dans les lueurs de l’aube.
De retour en ville, nous nous arrêtons au Hawa Mahal, le palais des vents, tout en dentelle de pierres grès rouge et rose. Historiquement, il permettait aux femmes du harem royal d'observer la rue sans être vues.
Nous enfourchons ensuite une bicyclette, probablement la meilleure façon de découvrir Jaipur à la rencontre de ses habitants et de ses lieux de vie. Les marchés aux légumes et aux fleurs débordent d’énergie, de couleurs et d’odeurs. Mais ce n’est rien comparé à la visite d’un temple hindouiste au moment de la prière. Un désordre organisé, à l’image de la société indienne, pendant lequel chacun danse, prie, chante. Nos sens sont saturés comme sollicités par les énergies folles qui se déploient et se répercutent entre les murs du temple. Le temps passe mais ces moments-là restent figés dans notre mémoire. Parfois, les plus précieux souvenirs sont ceux que l’on subit.
Le lendemain, notre tuk tuk nous conduit en plein campagne à une heure de route de Jaipur, au pied des monts Aravalli, où les panthères noires font loi, terrorisant les villageois qui viennent de subir plusieurs pertes dans leurs troupeaux. Nous ne croiserons pas de bagheera (c’est le nom hindi de la panthère noire, comme dans le Livre de la jungle, oui oui) mais l’ambiance du village, loin de l’agitation de la ville, nous offre un refuge enchanteur, sous les frangipaniers de l’Anopura.
Que faire ?
Une balade matinale guidée en vélo à la découverte de la trépidante Jaipur. Eléonore, une française passionnée d’Inde, a également ouvert son agence de voyage sur mesure à Jaipur.
Une escapade dans une majestueuse montgolfière dérivant au-dessus de la campagne rajpoute.
Où dormir ?
A Jodhpur, au Rass Hotel : au pied du fort, dans un écrin de verdure en plein cœur de la cité agitée de Jodhpur, le boutique hôtel Raas est inspiré d’une ville fortifiée. Trois bâtiments nouveaux répondent au bâtiment historique. Tout simplement incroyable.
Près de Jaipur, à Anopura : un voyage à part entière, à l'écart des sentiers touristiques traditionnels de la région. Lové au cœur des collines du Rajasthan, à environ une heure du centre de Jaipur, cet hôtel de charme propose des suites et des villas à louer dont l’architecture respecte les traditions ancestrales en utilisant des produits naturels comme le mortier de chaux. Une parenthèse enchantée qui encourage à ralentir. Les produits servis à table viennent tous de fermes locales. Prenez le temps de vous balader à pied dans les environs.
Fun Fact :
Pas besoin de vous faire un dessin : les trois villes sont symbolisées par la couleur majoritaire des bâtiments qui les composent. Les murs et les toits de Jodhpur sont recouverts de bleu pour refléter les rayons du soleil et ainsi rafraîchir les habitations. Cette couleur éloignerait également les moustiques et serait associée à l’importante communauté Brahmane de Jodhpur. Les murs de Jaipur sont traditionnellement peints en rose, symbole de bienvenue, depuis une visite du prince de Galles en 1876.