New York, Trick or Treat ?
À peine installée dans le vol CDG–JFK, j’ai dévoré le petit manifeste de Catherine Lacey sur New York.
Pour avoir déjà mis plusieurs fois les pieds dans la grosse pomme, j’ai eu du mal à comprendre ce que l’auteure dépeignait exactement. Trop dure, trop désabusée, pensais je. Et puis, après quelques jours ici, j’ai compris.
Elle parlait d’une ville qu’elle a aimée et qu’elle ne reconnaît plus. D’un endroit devenu presque inaccessible, où l’air coûte aussi cher que le mètre carré. Elle y décrit la gentrification, l’uniformité, la fatigue qu’on ressent quand tout change trop vite, la mélancolie des lieux qui disparaissent un à un.
Et malgré tout, elle reste. Et malgré tout, nous, on revient aussi.
Au premier lever de soleil sur la skyline, les yeux encore jetlagués, Manhattan vous tire à elle, vous promet tout.
Le Summit, cette nouvelle tour-attraction où les visiteurs flottent entre miroirs et ballons, est une métaphore de la ville elle-même : tout brille, tout attire, tout se reflète. On se regarde plus qu’on ne regarde. Et en sortant, on a cette drôle de sensation : comme si quelqu’un nous avait jeté un sort.
Manhattan est bruyante, saturée, excessive. Des tours de 80 étages, des boutiques de luxe, des coffee shops à $25 les deux cafés, des chiens mieux nourris que des humains, des appartements minuscules à prix de palace, des pulls Anine Bing à $1.000. Et la gentrification glisse doucement vers Brooklyn : $4.500 pour 60 m². Ici, on attend deux minutes son Uber, mais trois heures pour un bagel.
Et pourtant, chacun fait comme si cela glissait sur lui. Il y a là un vrai charme américain : savoir sourire pendant que tout devient absurde. Leur politesse est un art de vivre, un baume. Ces small talks qui ponctuent votre journée : “God bless”, “take care my friend”, “love your costume” sont autant de bouées lancées dans l’océan de vitesse. Une forme de tendresse sociale, un remède discret au rythme qui broie. Leur façon à eux de dire : “Tiens bon.”
C’est ça New York : une ville qui vous use et vous fascine à parts égales. On a marché des kilomètres dans ses rues quadrillées comme dans un souvenir en mouvement. Ici, tout est évocation : un film, une chanson, une photo déjà vue.






Depuis Greenpoint, sept minutes de ferry suffisent pour rejoindre Manhattan. Sept minutes d’aspiration avant de replonger dans le tumulte. Le soir, on revient, fatigués mais apaisés.
Comme rassasié par les dizaines de kilomètres avalés les premiers jours, on finit par ralentir la danse. On prend alors le temps, depuis le bord de l’eau à Brooklyn, d’admirer la skyline se parer de ses couleurs oranges. Petit à petit, la nuit tombe sur Gotham city, les vitres s’enflamment, les toits deviennent or.
Brooklyn n’est pas le contrepoint, c’est l’autre visage de la ville : plus calme, plus vaste, mais tout aussi travaillé. Greenpoint et Williamsburg sont déjà bien installés dans la gentrification. Un peu plus loin, Prospect Heigt, Red Hook, Cobble Hill gardent encore ce charme fragile des quartiers qui hésitent à devenir cools.
Installée à NYC depuis 10 ans, une amie m’a confié que la lumière de la ville était ce qu’elle préférait ici. Comme elle a raison ! L’automne est splendide : l’air sec qui vous réveille avec votre café, les couleurs franches, les façades de brownstones qui se fondent dans les feuilles rougeoyantes. Progressivement, elles se mêlent aux citrouilles. Ici, on ne parle pas d’une simple coloquinte posée sur un perron. Pendant que les marches des maisons se couvrent de toiles d’araignées et de squelettes, des univers tout entier se créent le long des façades (Bluey, Spider-Man, des dinosaures, des Scream miniatures, des Minions…), dans l’attente fébrile du soir du 31.
Nous avons choisi de ne pas nous rendre à Greenwich Village, de peur de perdre notre petit Batman au milieu de la chorégraphie mythique de Thriller et des cinquante mille fêtards, un peu trop joyeux, sans doute.
À la place, nous avons fêté Halloween à Clinton Hill. Nous avons arpenté les rues, nous sommes fondus parmi les familles américaines au fur et à mesure que les sacs de sucreries se remplissaient. Au milieu des costumes et des courges sculptées, alors que la nuit est soudain tombée, on observe avec des yeux d’enfant cette joyeuse déambulation.
Voyager avec un enfant de 5 ans, c’est presque une excuse pour tout revoir avec des yeux neufs : traîner à Times Square, voir The Lion King pour la sixième fois, entrer chez Lego, monter au sommet des tours, retourner dans la foule du MoMA ou regarder les patineurs et les écureuils de Central Park. Ajoutez à tout ça, un match de la NBA au Madison Square Garden, les Knicks contre les Bulls, et c’est comme si vous veniez de fêter votre anniversaire.
Nul doute, New York ne fait pas rêver que les enfants. Elle remplit d’énergie. Elle semble rendre tout possible. Même fatiguée, alors qu’on pourrait la croire presque dénaturée, la ville continue de battre.
Et si SOHO, Chinatown, Nolita se sont transformées en vitrines, il reste heureusement des adresses que les amis new-yorkais se chuchotent, presque avec superstition : des cafés cabossés, des librairies, des cantines juives, des restaurants où les nappes ont survécu au minimalisme. Des cocons qu’ils protègent comme des secrets.
L’art et la culture font toujours pleinement partie du décor. En quelques jours, on a vu la rétrospective Ruth Asawa tout en haut du MoMA, puis, pour rester dans l’art nippon, le musée Noguchi dans le Queens. Au Guggenheim, les plantes de Rashid Johnson : A Poem for Deep Thinkers flottant en son centre. Et au Whitney Museum, au-dessus de la High Line, le micro-monde de Calder’s Circus tournait lentement, fragile et hypnotique.
La ville déborde de beauté, comme si elle essayait de compenser son propre cynisme.
Et puis, il y a cette question qui traverse New York depuis toujours : melting pot ou salad bowl ? Chaque ingrédient reste visible, identifiable : une grande salade composée où tout coexiste sans vraiment se mélanger.
À Paris, les gens se mêlent davantage. À New York, comme à Londres, on se croise, on se frôle, puis chacun reprend sa route. L’immigration a construit cette ville, une immigration d’espoir devenue une immigration de réussite. Quoi qu’on en pense, tout commence ici. De l’élection d’un maire anti Trump aux dernières tendances, New York façonne le monde à sa façon. Et, même si on n’y reste que quelques jours, on a envie d’en être.
New York garde son pouvoir. Trick or treat ? Les deux, évidemment.
Où manger à Manhattan :
Katz’s Deli (Lower East Side) : on vient ici pour le pastrami, ce sandwich monumental qui s’effondre presque sous son propre poids, accompagné de kneidler moelleux et de cornichons.
B&H Dairy (East Village) : au comptoir chaleureux de B&H Dairy avec un bortsch fumant, rouge vif.
Épicerie Zabar’s (Upper West Side) : chez Zabar’s, on flâne simplement dans les étals et on commande son bagel directement à la poissonnerie : parfait pour un pique-nique à Central Park.
Nan Xiang Xiao Long Bao (Midtown) : on vient pour les petits raviolis vapeur, surtout ceux remplis de soupe brûlante qui éclatent en bouche. Il y a même un petit guide pour apprendre à les engloutir avec soin.
Via Carota (West Village) : on aurait tout pris à la carte, chaque plat donne envie de rester, encore un peu, avec cette impression d’être soudain un habitué du West Village.
Chelsea Market (Chelsea) : pour le lobster roll comme on en rêve. Directement à la poissonnerie ou au restaurant.









Où manger à Brooklyn :
Olmo (Bushwick) : ambiance de quartier, carte à partager, vins nature et doux cocktails.
Acre (Brooklyn Heights) : (à ne pas prononcer à la française) cuisine japonaise moderne, bento–coffee shop où l’on peut manger toute la journée, jusqu’à 16h.
Nura (Greenpoint) : Définitivement notre pref’. Installé dans un ancien garage au milieu des entrepôts réhabilités de Greenpoint. Cuisine indo-inspirée où l’on picore plein de petites choses avec de délicieux cocktails.
Le Land (Prospect Heights) : parfait pour un brunch ou un déjeuner.
Nabila’s (Cobble Hill) : un libanais généreux et parfumé, parfait pour partager mezzés et grillades dans le calme de Cobble Hill.
Où boire des cafés ?
Il existe plus de 4.000 coffee shops à New York, il n’est donc pas difficile d’en trouver, mais voici ceux qu’on a aimés :
Sweetleaf, et au bout de la rue Bakeri (pour la brioche du vendredi)
Devoción (toujours là après toutes ces années)
Té Company (certainement le meilleur que j’ai bu)
Radiant Café
St Jardim (aussi pour son bar à vin nature)
Bar Pisellino (cafèèè ou negroni, à tout heure)
Café O’Te
Moshava Coffee







